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En vérité, les dieux étaient cruels. À moins qu’ils ne fussent atteints de cécité, car seul un destin aveugle avait pu prononcer un tel décret. Le fléau s’était abattu, imprévisible, et nul n’y pouvait rien changer.
Shemou, le temps de la sécheresse, était sur eux. À peine les moissons engrangées, les hommes libérés des travaux agricoles avaient été enrôlés dans les grands chantiers de Pharaon, s’ils n’étaient assez riches pour se faire remplacer.
Les guerres au septentrion occupaient le cœur du roi et laissaient peu de temps pour d’ambitieuses constructions. Néanmoins, deux hypogées étaient en cours d’achèvement sur la rive occidentale du Fleuve, dans les falaises ocre du Grand Lieu et du Lieu de Beauté[2]. Et, à travers le pays, on creusait par centaines d’autres sépultures plus humbles. Nergal[3], dieu de la pestilence, avait à nouveau frappé la Terre Noire. Si le pire était passé, la capitale du Sud demeurait sous le choc. Chaque jour, on plaçait des corps recroquevillés dans des cercueils d’osier, où leur sahou[4] dormirait du sommeil éternel. On y joignait quelques récipients et parfois une faucille, que les défunts utiliseraient dans les Champs d’Éarrou[5].
Seul dans ses appartements privés, le pharaon Ay appuyait son bras maigre contre l’encadrement de la fenêtre, le regard perdu vers le lointain. Son cœur ne voyait rien des toits de la cité qui s’étendaient au nord du palais, et ses traits hagards révélaient son désarroi.
Oui, les dieux étaient aveugles ! Était-ce ainsi qu’Amon le récompensait pour avoir instauré son retour ? Le dieu de la capitale du Sud, qu’Ay avait imposé à toute la Terre Noire, détournait-il sa face du roi ? Ce malheur n’était pas l’œuvre d’Aton, qui vivait dans la lumière et dansait dans la chaleur solaire. Aton l’éternel ne criait pas vengeance. Il était bien au-dessus des viles manœuvres des humains ! En revanche, Amon était un dieu jaloux. Continuer à le négliger eût été dangereux. Les grands prêtres ne s’étaient pas privés de l’affirmer à la mort d’Akhenaton, honnissant le pharaon déchu. Celui qui avait perdu les terres du Nord, celui qui avait semé le vent, récoltant la tempête.
Après tant de cycles de saisons, la guerre contre les Khéta[6] et les Khabiri[7] n’était pas terminée.
Horemheb continuait à guerroyer, repoussant les rebelles, remettant au pas les peuples du septentrion. Enfin, les nouvelles du front étaient excellentes. Les dieux leur avaient souri.
Mais en vérité nul ne contrôlait Nergal, qui faisait irruption jusque dans les palais. À peine quelques semaines plus tôt, exultant en secret, Ay avait fait savoir à Horemheb que son fils s’était éteint. Le petit Touthmosis, né dans la douleur, s’était accroché à la vie durant trois brèves années. Comme sa mère avait choyé l’unique consolateur de sa solitude ! La sécurité passant avant tout, le général les tenait cloîtrés dans son palais… Touthmosis était un nom royal et Ay, qui n’avait pas d’héritier mâle, ne connaissait que trop les ambitions d’Horemheb. Il lui avait dépêché la nouvelle par son vaisseau-faucon[8] personnel, l’Âme-des-Dieux, à l’étrave drapée de lin blanc en signe de deuil. Comme le Fleuve scintillait, au jour du départ ! Et comme le pharaon s’était réjoui de la mort du garçonnet ! Son propre petit-fils…
Ay se rappela son retour, aux côtés de Nézemmout, après avoir inspecté le mausolée de Touthmosis au sein de l’hypogée familial. L’enfant y attendrait ses parents, son petit ka[9] anxieux et solitaire dans la grande nuit en dépit des paroles de puissance qui le protégeraient des mille horreurs de l’au-delà. Ay pressentait que ce ne serait pas son ultime demeure d’éternité. Horemheb était un homme du Nord, et les devins avaient prédit jadis que son sahou reposerait près de la pyramide à degrés qu’Imhotep avait bâtie pour Djoser. Ay vivrait-il assez vieux pour voir ce jour ? À cette simple idée, il ne se sentait plus de joie.
Le Chef Embaumeur avait rassuré la mère. À la maison-ouâbet[10], on prendrait soin de l’enfant. Sous peu, celui-ci connaîtrait le repos. Par égard pour sa fille, Ay avait accordé au défunt tous les rites funéraires dus à un personnage de haute naissance, sans aller jusqu’à ceux réservés à un prince de sang. Horemheb était un général d’une trempe exceptionnelle. Malgré leur rivalité, ensemble ils avaient reconstruit la Terre Noire. Ils étaient comme les deux faces d’un même disque ; comme deux frères, l’un fait de lumière et l’autre de ténèbres – Horus et Seth. Même si cela restait tacite, ils se complétaient tout en étant mutuellement leur pire ennemi. En vérité, les deux hommes pouvaient-ils exister l’un sans l’autre ?
Ay avait réconforté Nézemmout, ne reconnaissant plus sa fille dans cette femme grasse au teint plombé et aux yeux ternes. Sa douleur paraissait presque de façade. Elle montrait ce qu’on attendait d’elle et non ce qu’elle ressentait, comme si elle était trop lasse, trop usée pour souffrir vraiment. Son propre sort, au moins, lui inspirait-il de la commisération ? Elle semblait être au-delà de tout. Mais son mariage avec Horemheb avait été opportun, à l’époque.
Pensivement, Ay tourna son regard vers les flots où les bacs et les nacelles des marchands se pressaient, indifférents à l’ironie du sort qui frappait le souverain. Ce chagrin présent était-il son châtiment pour avoir jubilé à la mort de son propre sang ? Il avait aspiré plus que tout à avoir un héritier, mais il voyait approcher la fin de sa septième décennie et son Épouse Principale n’était plus féconde. Les années s’étaient écoulées tel du sable entre ses doigts. Désormais il était trop tard.
Pianotant sur le mur de ses longs ongles, Ay soupira avec impatience. Les dieux le tenaient au creux de leur paume. Force lui était d’attendre.
Et pourtant, que de plans il avait conçus ! Il avait épousé sa petite-fille Ankhsenamon, fille de Néfertiti et veuve de Toutankhamon, sûr qu’elle lui donnerait le fils dont il avait besoin, lui, le roturier, l’ancien Maître des Écuries. Solide serait la filiation de cette nouvelle lignée. Nul n’oserait la contester.
Le petit Touthmosis constituait la seule ombre au tableau. Des espions donnaient régulièrement à Ay des nouvelles de sa santé. Il s’était bien gardé de le faire assassiner, se contentant d’espérer, et Nergal avait exaucé son vœu.
Mais le dieu n’avait ravivé son espoir que pour mieux l’anéantir.
Avec lassitude, Ay se tourna vers ses appartements. La vue des meubles en or massif et en bois précieux ne lui procura aucun réconfort. Il avait lutté et souffert pour être le maître d’un tel palais, pour voir ses sujets courber l’échine au son des trompettes proclamant son approche. Un dieu vivant… Ce n’était pas tant l’apparat qu’il avait voulu, au fond, que le pouvoir. Le pouvoir… À quoi bon ? Il secoua la tête. Le vieil âge allait de pair avec les doutes. Ay repoussa ces démons surgis de son être, mais ils ne renoncèrent pas. Ils restèrent tapis au fond de lui, guettant l’occasion de l’attirer dans leur piège.
Un écrasant sentiment d’impuissance face à la volonté des dieux ne le quittait pas ; malgré tout, une partie de lui-même sentait que ce n’était là qu’un juste retour des choses. Il s’était réjoui de voir le rejeton de son rival fauché dans sa croissance, et cette fois l’ombre de la mort planait sur sa propre maison.
La petite Ankhsi, que jadis il avait fait danser sur ses genoux… Il la connaissait par cœur. Et voilà qu’elle se mourait. Bien qu’il s’obstinât à espérer envers et contre tout, il avait ordonné que sa tombe, commencée le lendemain de sa naissance, fût préparée pour la recevoir.
Ankhsi agonisait.
Horemheb en était-il déjà informé par ses espions ? Cela adoucissait-il son deuil ? Il n’était guère plus jeune que le pharaon mais encore plein de vigueur, et la matrice de Nézemmout n’était pas desséchée. Ay avait tant espéré un enfant d’Ankhsi ! Trois ans avaient passé en pure perte et à présent elle se mourait.
Était-ce sur elle qu’il se lamentait ou sur lui-même, sur l’occasion ratée, sur ce revers dans la partie de senet[11] qu’il disputait avec Horemheb d’aussi loin qu’il se souvînt ? Le Trône d’Or, la succession… Était-ce ses ambitions perdues qu’il pleurait ?
Et puis qu’importait, après tout ? Pour la première fois de sa vie, il se sentait las. Pour la première fois, aussi, l’âge pesait lourdement sur ses épaules. Les saisons avaient accompli leurs révolutions sans l’aider à maîtriser son démon intérieur.
Il avait envoyé un messager à la Deuxième Maison, avec ordre de n’en revenir que s’il y avait du nouveau. D’après Senséneb, qui ne quittait plus le chevet de la reine, en ce jour se déciderait la mort ou la guérison. Il arrivait aux médecins de se tromper, mais Senséneb comptait parmi les meilleurs de sa profession. Elle avait tout mis en œuvre pour sauver Ankhsi.
Comme un lion en cage, Ay allait et venait – une vieille habitude. Il songea bien à convoquer le Scribe Royal, Kenna, afin de s’absorber dans le travail, mais il sentait qu’il ne pourrait se concentrer qu’une fois l’issue connue. Non sans irritation et sans honte, au fond de lui il soupesait déjà la nouvelle stratégie à adopter. Un domestique avait préparé la chambre et laissé un plateau chargé de vin et de douceurs, mais Ay était trop tendu pour se sustenter. Impatiemment, il contempla le soleil qui parcourait le corps de Nout si lentement, ce jour-là, qu’il semblait accroché au bleu impitoyable du firmament. Enfin les ombres s’allongèrent. La barque-matet céda la place à la barque-seqtet[12] – et toujours rien. Une fois, des pas résonnèrent dans le couloir, mais ce n’était qu’un serviteur venu s’enquérir si Pharaon désirait quelque chose. Il renvoya l’homme d’un geste de la main et le regretta aussitôt la porte fermée. Il éprouvait une subite envie de bière rouge, lui qui d’ordinaire n’en consommait jamais. Il faillit rappeler le serviteur, mais déjà ce désir l’avait quitté.
Et quand bien même Ankhsi mourait ? Pourquoi cela aurait-il signifié la fin pour autant ? Il était âgé, et non malade. Il en trouverait une autre. Sa semence était encore fertile. Il ne fallait pas des siècles pour faire un enfant !
Au crépuscule, il vit un groupe traverser la cour. Senséneb était du nombre, de même que Chaemhet, le Grand de la Deuxième Maison, précédé par le messager. Ils étaient trop loin pour que le roi distingue leur expression. Quelques fonctionnaires s’étaient arrêtés afin de les voir passer. Le mal d’Ankhsi endeuillait le palais. Si Ay n’avait été si absorbé, il aurait été frappé par la tristesse qui régnait ce jour-là. Soudain, deux des fonctionnaires s’éloignèrent en toute hâte, sans que le roi pût deviner la teneur de ce qu’ils venaient d’apprendre. Un fait était sûr : bientôt les rumeurs se propageraient à travers la capitale.
Pentou, son serviteur attitré, annonça les arrivants. Ay, qui n’était jamais à l’aise sans un bureau le séparant de son interlocuteur, chercha des yeux l’endroit approprié pour les recevoir. Il choisit un siège d’ébène incrusté d’or et d’argent, sur une petite estrade. Celui-ci était pourvu d’un dossier droit auquel il pourrait s’appuyer, et d’accoudoirs qu’il pourrait agripper. Il lui serait plus facile de s’y donner une contenance. Il s’assit, drapa les plis de son manteau autour de lui et rajusta son collier d’or, puis il adressa un signe du menton à Pentou. La journée avait été chaude et sa perruque le grattait. Trop tard pour y remédier à présent. Quand ils seraient partis, il se baignerait et se changerait : cela lui laisserait le loisir de réfléchir.
Senséneb entra la première, suivie de Chaemhet. Ils s’inclinèrent respectueusement, puis se tinrent devant le roi d’un air embarrassé. Ay se félicita d’avoir pris place sur l’estrade, dont la hauteur lui conférait un léger avantage. Il s’adossa contre son siège. À voir leur visage grave, il devinait que les nouvelles n’étaient pas bonnes, néanmoins il se devait de les entendre.
« Est-elle morte ? » interrogea-t-il, surpris par la sécheresse de sa voix.
Il aurait dû boire. Il n’avait rien absorbé de la journée.
Senséneb parut décontenancée par cette question directe. Il imaginait bien qu’elle avait préparé un discours.
« Non, Majesté.
— Ton expression ne me donne guère de raisons d’espérer.
— En vérité, il y en a peu. »
Ay observa Chaemhet, qui baissait les yeux. À quoi pensait l’intendant ? À sa carrière, probablement. Que deviendrait-il ? Espérait-il que le pharaon prendrait une nouvelle Deuxième Épouse ? Les reines de la Première et de la Troisième Maison avaient leur propre intendant. Chaemhet entrevoyait sans doute aussi des difficultés conjugales : Mia serait dépitée si elle cessait de jouer un rôle majeur dans la haute société. Quant à Senséneb, elle était déjà médecin en chef à la Maison de Vie. Sa position sociale ne pâtirait pas de la mort de sa patiente.
Ay chassa de ses pensées les préoccupations de ses sujets.
« Combien de temps lui reste-t-il ?
— C’est difficile à dire, majesté. Le mal progresse rapidement.
— Peut-elle parler ?
— Non. Il est toutefois possible qu’elle recouvre cette faculté.
— Voit-elle encore ?
— Oui.
— Est-elle à même de reconnaître ceux qui l’entourent ? »
Senséneb garda le silence.
« Je veux me rendre à son chevet », annonça Ay en se levant.
Senséneb échangea un coup d’œil avec Chaemhet et dit avec hésitation :
« En ce cas, seigneur… prépare-toi à la trouver terriblement changée. »
J’en ai vu bien d’autres, pensa Ay. J’ai vu des lions tailler un homme en pièces. Dans ma jeunesse, au cours d’escarmouches, j’ai fixé le visage de ceux que je tuais. J’ai plongé mon regard dans leurs yeux en leur portant le coup fatal. Cette femme ose-t-elle suggérer que je ne supporterai pas la vue de la mort ?
« Je te sais gré de ton sage conseil, mais il est de mon devoir d’aller auprès d’elle. Mon cœur est aguerri contre l’horreur.
— Alors, allons-y sans plus attendre, car le temps presse. »
Ils se rendirent rapidement à la Deuxième Maison, en passant par des cours où les légers remous de la brise rafraîchirent le pharaon. La marche lui fit du bien, de même que la fin de cette incertitude. Il ne se ressentait même plus de la soif. Il éprouvait une étrange exaltation à l’idée d’être encore de taille à surmonter les obstacles que les dieux jetaient sur son chemin. Il n’avait jamais été homme à se lamenter. Dès qu’il entrevoyait une difficulté, il n’avait de cesse de la vaincre.
Si seulement il avait eu un héritier !
La chambre de la malade était aussi sombre que le fond d’un bassin. Pour lutter contre la chaleur, les serviteurs avaient tendu du lin sur les fenêtres et, le nez et la bouche protégés par un masque, ils agitaient sans relâche de grands éventails en papyrus. En dépit de ces précautions, l’atmosphère étouffante était presque fétide. Des cônes d’encens se consumaient dans une coupelle de bronze sans couvrir les miasmes de la mort, que le roi reconnut immédiatement. Peut-être Anubis se tenait-il déjà au pied du lit, attendant de conduire Ankhsi vers les Chambres Obscures dès que son ba s’envolerait de sa bouche pour commencer son périple, marquant la séparation des Huit Éléments. Puisse Seth transpercer le Serpent des Ténèbres pour la protéger ! pensa Ay en s’approchant de la mourante.
Seuls sa tête et ses bras restaient visibles. Son corps était emmailloté de lin, comme si elle était à peine née ou déjà apprêtée pour la tombe. Sa nuque reposait sur un coussin trempé de sueur. Une odeur repoussante montait d’elle. Oui, là était la mort, avec tous les subterfuges que le rang et la richesse procuraient pour la rendre plus douce, plus digne et confortable. Pourtant, elle demeurait pareille à elle-même : toute de transpiration et de puanteur. Fugitivement, Ay songea au peuple frappé par ce fléau, aux pauvres qui mouraient sans ces consolations. Il se pencha sur son épouse. Les yeux ouverts d’Ankhsi ne le regardèrent pas. Ses lèvres balbutiaient des paroles incohérentes. Sa tête battait doucement sur l’oreiller, d’un côté, puis de l’autre, et des mèches humides, plus sombres, apparaissaient sous la perruque dont elles s’étaient dégagées.
« Ne la touche surtout pas, seigneur ! » recommanda Senséneb à voix basse, derrière le pharaon.
Les mains d’Ankhsi s’agitèrent fébrilement sur les couvertures, se refermèrent sur le vide et tendirent un objet invisible à Ay.
« Maman… Une fleur, pour les cheveux de mon père. »
C’est ici que nous finissons, pensa le pharaon. Après tant de luttes, voilà où tout s’achève. Tout est oublié. Ankhsi avait déjà envoyé les hérauts de son cœur annoncer son arrivée dans les Champs d’Éarrou. Sans aucun doute, elle franchirait saine et sauve la Chambre des Deux Vérités. Ammit[13] ne dévorerait pas son cœur. Accorde-lui de cheminer en paix sur le sentier, car elle est juste et sincère. Elle n’a pas proféré de mensonges ni usé de duplicité.
« Qu’on appelle les prêtres », ordonna Ay.
Quelle tristesse de ne pouvoir caresser son front ! Devait-il courir le risque ?… Non.
Il s’écarta. Ankhsi en eut conscience et se souleva à demi, mais retomba avant que ses servantes aient pu la soutenir. Elle était redevenue inerte, toute vigueur abolie. Moins de dix jours plus tôt, ils s’étaient unis. Ay se rappela les muscles de ce corps pressé contre le sien, et ces instants passés lui parurent irréels.
« Ne meurs pas… dit-il maladroitement, conscient de tous les regards rivés sur lui.
— Viens, dit Senséneb. Tu lui as dit adieu. »
Ay fut soulagé en quittant la pièce. Dehors, ses propres serviteurs l’attendaient, avec Pentou. Il chercha en vain Chaemhet des yeux. Bientôt, il leur faudrait discuter ensemble de la mise au tombeau.
Il regagna son palais et se rendit dans ses appartements, où il prit un bain et se changea. Il sortit alors sur le jardin en terrasse et s’accorda enfin un rafraîchissement. Ay s’était toujours nourri avec frugalité. Un plat de lentilles et de poisson, accompagné d’une cruche d’eau, lui suffirait amplement. Pendant quelques moments, dans la chambre, il avait éprouvé de l’affection et du regret. Il savait que ces émotions, qui vibraient si rarement en lui, avaient été provoquées par l’agonie de cette petite-fille-épouse autant que par la ruine de ses espérances. Mais il se sentait prêt, dorénavant, à échafauder de nouveaux plans. Qui refusait de se battre ne vivait pas vraiment. Sans doute les dieux contrôlaient-ils la destinée de l’homme, mais ils devaient aussi compter avec sa force de caractère.
Ay fit mander le Scribe Royal et tous deux se rendirent dans la salle de travail. Bientôt, le bureau fut jonché de documents. Ay avait toutefois du mal à se concentrer et dut se résoudre à attendre que tout fût consommé. Il renvoya Kenna et se retira dans sa propre chambre. L’idée lui vint de chercher l’oubli auprès d’une femme du harem, mais il n’avait jamais fait grand cas des plaisirs des sens et préféra rester seul.
Contrairement à ce qu’il craignait, sitôt couché, il sentit ses paupières s’alourdir. Il lui sembla que quelques instants à peine avaient passé quand Pentou se pencha sur lui, après l’avoir réveillé en lui pressant l’orteil.
« Quelle heure est-il ?
— La deuxième avant l’aube. »
Ay considéra son serviteur, aux traits tirés par le manque de sommeil et par la tristesse.
« C’est arrivé ?
— Oui. La reine Ankhsenamon s’est couchée dans son horizon. »